L'honneur de servir : une promesse tenue à travers le temps



Il y a dans tout engagement une part de mystère. Ce qui pousse à agir ne se décrète pas : c’est souvent un mouvement intérieur, discret, celui qui nous fait quitter le confort du spectateur pour entrer dans le cercle de ceux qui tendent la main. Donner du temps, c’est d’abord choisir de ne plus en manquer : retrouver la mesure du vrai, celle qui relie les êtres. Dans un monde saturé de sollicitations, s’engager, c’est respirer autrement, ouvrir un espace de rencontre avec l’autre, et peut-être aussi avec soi-même. Chaque geste de solidarité nous rappelle que la reconnaissance reçue n’a de sens que si elle devient à son tour promesse de service. C’est ce fil, fragile et tenace, que j’ai voulu évoquer dans la tribune publiée cet été dans la revue de la Société des Membres de la Légion d'Honneur La Cohorte : une réflexion sur l’honneur qui agit, sur la transmission qui relie, sur cette fraternité vivante qui donne visage à ce que toute civilisation a de meilleur, la capacité d’agir pour autrui. Parce que l’honneur n’est pas un souvenir, mais un élan. Parce qu’il ne s’exhibe pas, il s’exerce. Parce que servir, au fond, c’est tenir parole.

Voici cette tribune : 

Depuis plus de deux siècles, la Légion d’honneur rend hommage aux mérites éminents de celles et ceux qui ont servi notre pays. Mais depuis plus d’un siècle, cette distinction trouve un prolongement vivant : en rejoignant la Société des membres de la Légion d’honneur (SMLH), les décorés choisissent de transformer cette reconnaissance en une force agissante, tournée vers les autres. Une action concrète, une solidarité en mouvement. Une promesse tenue à travers le temps. 

Près d’un demi-million de femmes et d’hommes ont, depuis 1921, fait ce choix de transformer un honneur reçu en responsabilité partagée. Ce chiffre dit quelque chose de rare : la force tranquille d’un engagement collectif et durable, enraciné dans l’histoire, mais résolument tourné vers l’avenir. 

Certes, la SMLH est née dans le sillage du drame de la Grande Guerre, à une époque où, faute de sécurité sociale ou de dispositifs d’accompagnement, les décorés les plus fragilisés se retrouvaient parfois démunis. Très vite pourtant, la société d’entraide est devenue société de projets, de transmission, de présence. Aujourd’hui, ce ne sont plus les cicatrices visibles de la guerre qu’elle soigne, mais les fractures invisibles d’une société en tension, en quête de lien, de repères, de sens. 

Car si l’engagement revêt mille formes, il a toujours la même source : le dépassement de soi. Donner de son temps, de son expérience, de son énergie, pour les plus jeunes, pour nos aînés, pour les plus fragiles, pour le bien commun. Tel est, aujourd’hui encore, le choix des membres de la SMLH, présents partout en France à travers plus de 600 comités, comme dans les 64 pays où l’association rayonne. 

Ici, ils accompagnent des élèves méritants dans leur parcours scolaire. Là, ils soutiennent des personnes en situation de handicap ou interviennent auprès de jeunes en voie d’insertion. Ailleurs, ils témoignent dans les écoles, apportent leur concours à des actions de naturalisation, ou veillent à la préservation du patrimoine. Chaque geste est singulier, chaque engagement a son visage. Mais tous, ensemble, dessinent une seule et même figure : celle d’un honneur qui agit. 

C’est pourquoi nous avons voulu consacrer ce numéro de La Cohorte à celles et ceux qui incarnent cet esprit de service. Une galerie de portraits engagés, qui dessine un paysage vivant, et fait écho à cette phrase si juste de Victor Hugo : « Servir la patrie est une moitié du devoir, servir l’humanité est l’autre moitié. » Ces engagements ne sont pas tous spectaculaires. Ils sont souvent modestes, parfois silencieux. Mais ils tracent une diagonale lumineuse entre générations, territoires, parcours. Ils font exister la République dans ses marges, dans ses promesses, dans son espérance. 

Alors même que 60 % de nos concitoyens redoutent un conflit entre générations, ils sont une majorité à souhaiter tisser plus de liens entre les âges. La SMLH répond à cette attente, avec constance et inventivité. 

L’engagement, comme le rappelle la philosophe Cynthia Fleury, est aussi une réponse à la finitude. Il donne sens au temps. Il structure le sujet dans sa capacité à faire face, à créer du lien, à résister au désenchantement. Il n’est pas un luxe moral : il est une nécessité psychique, politique et démocratique. « Le désengagement abîme la démocratie et la santé mentale », dit-elle encore. À l’inverse, l’engagement, même fragile, même imparfait, relève de l’attention, de la présence, du soin apporté à l’autre et au monde. 

Dans ce numéro, Dominique Bourg nous rappelle que l’engagement écologique est désormais un impératif éthique. L’habitabilité de la planète est en jeu, et avec elle, notre avenir commun. Mais qu’il s’agisse de préservation de l’environnement, de transmission des valeurs ou de solidarité concrète, c’est toujours la même volonté qui se manifeste : ne pas se dérober. Répondre présent. Tenir debout. 

Dans une époque où tant d’organisations peinent à se renouveler, la SMLH fait figure d’exception. Mieux : elle fait preuve de jeunesse. Non pas celle des années, mais celle de l’élan. Celle du regard qui ne se détourne pas. Celle qui croit encore à la fraternité, à l’exemplarité, à la République en actes. Oui, la SMLH est vivante. Elle est en mouvement. Et elle est belle quand elle agit. 

Qu’allons-nous faire, ensemble, de l’honneur qui nous lie ? La réponse est devant nous. Elle s’appelle engagement. Elle s’appelle solidarité. Elle s’appelle transmission. Et elle s’écrit tous les jours, dans les visages, les gestes et les projets que ce dossier a choisi de mettre à l’honneur.

Retrouvez le numéro de la Cohorte

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