La misère, violation des Droits de l’Homme : une très longue marche
Le Père Joseph Wresinski à l'ONU en 1987 © ATD Quart Monde
Jean Tonglet, volontaire permanent d’ATD Quart Monde depuis octobre 1977, a été
successivement en mission à Marseille et à Noisy-le-Grand en France, puis délégué national
du Mouvement pour la Belgique et représentant du Mouvement International auprès de
l’Union européenne. De 2003 à 2010, il a été le directeur du Centre de mémoire et recherche
Joseph Wresinski. Il se consacre aujourd’hui à faire connaître la pensée de Joseph Wresinski
en publiant des œuvres du fondateur d’ATD Quart Monde, en animant le site Internet qui lui
est consacré, en préparant colloques et autres événements, dont le colloque de Cerisy en juin2017. Il est administrateur de la Fondation Joseph Wresinski-Institut de France.
Il a publié dans la revue « Droits fondamentaux et pauvreté », le 3 novembre 2021 un article intitulé « La misère, violation des droits de l'homme : une très longue marche».
En introduction de sa réflexion il précise que "le texte adopté en 1948, au sortir de la seconde guerre mondiale, offrait des perspectives prometteuses, et ce dès son préambule. Ne parle-t-il pas, en effet, de manière explicite de la misère –terme devenu aujourd’hui politically incorrect– quand en son deuxième alinéa il affirme que « l'avènement d'un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l'homme » ? Les articles 1 et 2 proclament eux que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » (article 1) et que « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation » (article 2). L’origine sociale, la fortune, la naissance et toute autre situation excluant toute distinction ou discrimination, il semblait donc acquis, d’emblée, que lutter pour le respect des droits humains et lutter contre la misère allaient de pair, dans l’esprit des rédacteurs de 1948."
Il souligne en premier lieu qu’associer les droits humains et la pauvreté n’allait pas de soi en dépit de la volonté de celles et ceux qui vivaient l’extrême pauvreté et de l’indivisibilité fondamentale des droits. Il rappelle que les plus pauvres ont pris conscience alors qu’ils avaient des droits comme le soulignait Hannah Arendt, en parlant du « droit d’avoir des droits». Enfin, il précise que la misère est une violation des droits de l’homme comme le Père Joseph Wresinski l’a officiellement inscrit le 17 otobre 1987 dans la Dalle à l’honneur des victimes de la misère, sur le parvis des Libertés et des Droits de l’Homme au Trocadéro à Paris.
La rupture du lien entre la lutte contre la misère et la lutte pour les droits
Associer les droits humains et pauvreté n’était pas une évidence. Ceux et celles qui ont ouvert la voie vers ce rapprochement ont longtemps connu la solitude. Il est donc utile de retracer quelques étapes du chemin vers la reconnaissance de l’extrême pauvreté comme une violation des droits humains, tels qu’ils sont proclamés et reconnus par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.
Celle-ci offrait des perspectives prometteuses, dès son préambule, qui affirmait que « l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme » ? Très vite, ce lien organique entre la lutte contre la misère et la lutte pour les droits a été rompu. La misère était et reste parfois encore, perçue comme une simple question de politique sociale, dans les pays dits développés, et une question de développement économique, dans les pays du Sud.
Le Père Joseph Wresinski déclarait d’ailleurs à l’occasion en 1989 dans le cadre d’une contribution à la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (publiée dans Commission Nationale Consultative des Droits de L’Homme pp 221 à 237 à la Documentation Française)
« Avions-nous eu raison d’affirmer une certaine hiérarchie parmi des droits, tous énoncés comme inaliénables ? Était-il raisonnable de distinguer les libertés civiles et les droits politiques comme prioritaires, plus nobles que les autres en quelque sorte ? Plus faciles aussi à instaurer que les droits économiques, sociaux et culturels, puisqu’il suffirait que l’État s’abstienne pour que tout citoyen puisse en jouir ? Avions-nous vu juste, en décrétant ainsi une rupture à l’intérieur d’un ensemble de droits qu’à l’Assemblée Générale de l’Onu, nos gouvernements avaient déclarés « indivisibles et interdépendants ? »
La division de droits pourtant indivisibles
L’adoption de deux pactes internationaux, l’un traitant des droits civils et politiques et l’autre des droits économiques, sociaux et culturels, a consacré la division de droits pourtant indivisibles. Face à cette division, Joseph Wresinski et les militants Quart Monde ont cherché à « infléchir le cours de l’histoire qui a conduit des pays à s’affronter à la Commission des Droits de l’Homme à l’ONU sur la priorité à accorder, pour les uns, aux droits civils et politiques, pour les autres aux droits économiques, sociaux et culturels.»
Le droit d’avoir des droits
Cette question n’était pas théorique : elle a surgi de la vie. Dans la boue des bidonvilles, des cités d’urgence, des quartiers de taudis, où ATD Quart Monde s’est développé. Leurs habitants se sont révélés comme de véritables défenseurs des droits de l’Homme. Ils découvrent que «certains sont si pauvres qu’ils ne savent même pas qu’ils ont des droits », se rattachant, sans le savoir, à ce qu’évoquait Hannah Arendt, en parlant du « droit d’avoir des droits ». En juin 1968, la revue Igloos, publie, sous le titre Un peuple parle, un « Manifeste » confié « aux responsables de la Charte des Droits de l’Homme et à tous ceux qui croient en l’homme ».
La misère, comme une violation des droits de l’homme
Une pétition est lancée en mai 1982 pour demander de reconnaitre la misère, comme une violation des droits de l’Homme, au même titre que l’esclavage ou l’apartheid. C’est le début d’un long effort qui passera par la désignation d’un premier rapporteur spécial des Nations unies sur Extrême pauvreté et droits de l’Homme, en 1990, l’argentin Leandro Despouy, qui y travaillera pendant 6 ans et dont le rapport final sera adopté en 1996. Plusieurs experts et rapporteurs lui succéderont et leur travail aboutira à l’adoption des Principes directeurs
La reconnaissance par la communauté internationale de l’extrême pauvreté comme violation de l’ensemble des droits fondamentaux ne marque pas la fin de notre combat. Elle reste fragile, et elle doit maintenant se décliner à travers des réalisations concrètes, l’adoption ou la modification de législations, en prenant en considération les nouveaux défis qui se présentent en 2021.
DALLE DU TROCADERO A PARIS
LE 17 OCTOBRE 1987,
Des défenseurs des droits de l’Homme et du citoyen de tous pays se sont rassemblés sur ce parvis. Ils ont rendu hommage aux victimes de la faim, de l’ignorance et de la violence. Ils ont affirmé leur conviction que la misère n’est pas fatale. Ils ont proclamé leur solidarité avec ceux qui luttent à travers le monde pour la détruite.
« LÀ OÙ DES HOMMES SONT CONDAMNÉS À VIVRE DANS LA MISÈRE,
LES DROITS DE L’HOMME SONT VIOLÉS.
S’UNIR POUR LES FAIRE RESPECTER EST UN DEVOIR SACRÉ. »
Pour aller plus loin, découvrir le site Refuser la misère
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